Sans Corne

Le "sans corne" et autres défauts de cornage

Quoi de plus naturel qu'une vache à corne? Et pourtant, les cornes se font de plus en plus rare. Depuis l'Antiquité, des animaux à cornes branlantes ou sans corne apparaissent spontanément dans les élevages, mais ils ne sont pas toujours sélectionnés pour la descendance. Cependant l'écornage du bétail s'est généralisé au cours des 30 dernières années, à la fois pour des raisons économiques, de sécurité du travail, et pratiques.

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Les cornes branlantes

Contexte et enjeux
Face à l’interdiction probable à moyen terme de l’écornage des bovins, la solution génétique apparait comme une solution de choix et plusieurs lignées génétiques sans cornes sont en cours de sélection dans différentes races. C'est dans ce cadre qu'a été constituée la lignée Charolaise sans cornes de l'UCEF. L’obtention de telles lignées souffre cependant de l’apparition fréquente de cornes anormales dans la descendance d’animaux sans cornes. Dès 2009, nous remettions en cause l'hypothèse générale que les cornes branlantes résultaient d'un gène scurred modulateur du gène polled, gène dominant responsable de l'absence de cornes, localisé sur le chromosome 1. C'est dans ce contexte qu'a été lancé le projet Hornout, avec le soutien financier d'ApisGene, pour comprendre le déterminisme génétique du cornage chez les bovins.

Résultats
Le génotypage avec la puce bovine Illumina SNP50 d'un pedigree de 57 animaux, dont certains à cornes branlantes, a conduit à l'identification d'une région de 1,7 Mb sur le chromosome 4. Le séquençage du gène Twist1 dans cette région a mis en évidence une duplication de 10 bases dans la séquence codante de ce gène, induisant un décalage du cadre de lecture et une inactivation totale du gène. Le syndrome décrit est observé en l'absence du gène sans cornes polled et il est nommé "cornes branlantes de type 2". Aucun individu homozygote n'étant observé, il est supposé que cette anomalie est léthale et des expérimentations sont en cours pour confirmer cette hypothèse.

Perspectives/impact à terme
Cette découverte ouvre de nouvelles perspectives dans la compréhension du déterminisme génétique du cornage et des voies de signalisation associées au développement du crâne et des cornes.

Références
Capitan A. et al. 2011 «  A  Newly  Described  Bovine  Type  2  Scurs  Syndrome  Segregates  with  a Frame-Shift Mutation in TWIST1»

L’anomalie « PMS »

Contexte et enjeux
Début 2010, un nouveau taureau sans cornes alliant un niveau génétique correct à un pedigree original nous est signalé (sa mère sans cornes étant issue d’une  lignée danoise, et son père (V.)  étant « né » spontanément sans cornes de parents cornus.
Mais les descendants sans cornes de V. présentaient d’autres symptômes associés à l’absence de cornes réunis sous la forme d’un syndrome baptisé PMS (pour Polled and Multisystemic Syndrome) :
forme du crâne particulière (crête osseuse sur le front et long museau), retard de croissance de 80 kg en moyenne à 210J, diarrhée chronique, apathie, stérilité femelle, hypertrophie cardiaque, mortalité embryonnaire des mâles atteints.

Résultats
Une cartographie « par erreur de transmission Mendélienne » a été entreprise afin d’identifier de grandes délétions dans le génome de ces animaux, mettant en évidence une région du chromosome 2. Le séquençage complet du génome de l’une d’elle a ensuite confirmé l’existence d’une délétion de 3,7 Mb recouvrant 3 gènes dont Zeb2, qui, comme TWIST1 (cornes branlantes de type 2) est un des rares régulateurs de la transition épithélium mésenchyme, un processus important du développement, jouant un rôle fondamental dans la mise en place de nouveaux organes au cours de l’Evolution.

L’analyse des haplotypes reçus par les descendants sans cornes et cornus de V. a de plus permis de mettre en évidence le caractère mosaïque de ce taureau : la mutation qu’il porte s’est produite pendant les premières phases de division cellulaire après fécondation,toutes les cellules de son organisme ne portent pas la mutation, ce qui explique pourquoi ce taureau était d’apparence normale (à l’exception de ses cornes), contrairement à ses descendants sans cornes.

Perspectives/impact à terme
Il a été mis un terme à la vente de semences de V., en revanche, après analyse, le mâle sans cornes issu de ce taureau, ne présentait aucun risque pour la filière.

Les conséquences de cette délétion sur le développement de différents organes au stade fœtal (dont les bourgeons de cornes), ont été étudiées en collaboration avec l’UNCEIA et l’Unité Expérimentale de Pin au Haras : des embryons FIV, ont été produits, biopsiés puis congelés. A partir de l’ADN des biopsies un diagnostic préimplantatoire (sexe et génotype au PMS) a permis de réimplanter uniquement les embryons de génotype souhaité, pour obtenir 3 fœtus PMS et 4 sains au final. Cette première dans l’espèce bovine a fait l’objet d’un poster au congrès de l’International Embryo Transfert Society en janvier dernier (Marquant-Leguienne et al.2012).

Références
Capitan A. et al. 2012 “A  3.7  Mb  deletion  encompassing  ZEB2  causes  a  novel  Polled  and Multisystemic  Syndrome  in  the  progeny  of  a  somatic  mosaic  bull”

Le gène sans cornes livre ses secrets

Contexte et enjeux

L’élevage d’animaux génétiquement sans cornes représente une solution non invasive, économique et durable au problème des cornes. Documenté de nombreuses fois à travers l’histoire depuis l’Egypte Antique, ce caractère dominant a été l’un des premiers phénotypes bovins étudiés après la redécouverte des lois de Mendel sur l’hérédité. Il a également été l’objet d’importants efforts de recherche et d’une compétition non moins importante à l’échelle internationale.

Depuis les premiers travaux de Georges et collaborateurs (1993) plus de 8 équipes ont cartographié le locus sans cornes au début du chromosome 1 et se sont ensuite cassées les dents sur l’étape suivante : la recherche de la mutation causale. Il faut dire que leur chemin était pavé d’embûches : les cornes étant une caractéristique propre aux bovidés, il était impossible d’identifier un gène candidat à partir d’études comparables menées chez des espèces modèles comme l’Homme ou la souris. Il leur a donc fallu séquencer les régions codantes de plusieurs dizaines de gènes, un processus laborieux, sans succès. Enfin, partant de l’hypothèse que la mutation en cause ne modifiait pas la séquence codante d’un des gènes de la région mais affectait plutôt son niveau d’expression Mariasegaram et collaborateurs (2010) ont étudié ces niveaux d’expression dans des bourgeons de cornes de veaux sans cornes et cornus, toujours sans succès.

Résultats

Heureusement le développement récent de nouvelles technologies de séquençage est venu changer la donne. La méthode dite de capture de séquence a permis à Medugorac et collaborateurs (2012) de séquencer presque l’intégralité de la région sans cornes (environ 95%) sans aucun a priori sur la nature de la mutation en cause. Ils ont ainsi pu mettre en évidence non pas un mais deux allèles sans cornes différents (un allèle Celtique : PC et un Frison : PF) et proposer des mutations potentiellement causales pour chacun de ces allèles. Ils ont ensuite démontré que la grande majorité des races ou souches sans cornes originaires d’Europe portaient l’allèle PC tandis que l’allèle PF se cantonnait à la Holstein (où il est plus fréquent que l’allèle PC au sein des rameaux sans cornes) et à quelques races laitières qui ont introgressé le phénotype sans cornes à partir de la Holstein. Ces résultats ont été ensuite confirmés (dans le cadre du projet Hornout financé par Apis Gène) par notre équipe de chercheurs de l’UNCEIA et de l’INRA (en collaboration avec l’équipe d’Ivica Medugorac et plusieurs adhérents de l’UNCEIA) grâce au séquençage exhaustif (cette fois) de la région sans cornes. Nous avons ainsi identifié de façon certaine la mutation celtique et réduit le nombre de mutations candidates pour l’allèle frison à 4, ouvrant la voie au développement de tests de diagnostic fiables commercialisés par Labogena et Valogène. Nous avons également démontré que la différenciation des bourgeons de cornes s’effectuait bien avant la naissance (dans le premier tiers de gestation). En étudiant ces bourgeons de cornes foetaux, nous avons enfin identifié un nouveau gène dont l’expression varie uniquement dans ce tissu entre individus sans cornes et cornus (Allais-Bonnet et coll., 2013). Ces résultats constituent un premier pas important dans la compréhension des mécanismes génétiques intervenants dans le développement des cornes chez les bovidés mais beaucoup reste à faire.

Perspectives/ impact à terme

Le rôle exact de ce gène et de ses interactions avec d’autres gènes fait actuellement l’objet d’études dans le cadre d’un nouveau projet de recherche démarré en 2013 ("Akelos" financé par Apis Gène). Outre la compréhension du développement des cornes ce projet a pour objectif de donner, aux entreprises et organismes de sélection français qui le souhaitent, les moyens et les garanties nécessaires pour développer des souches bovines sans cornes performantes et durables. En effet, par le passé des mutations associant absence de cornes avec d’autres symptômes ont été confondus avec le gène sans cornes vrai (Capitan et coll. 2011 et 2012). Il convient donc de caractériser toute nouvelle souche présumée porteuse d’une mutation sans cornes avant de la démultiplier. Les organismes qui le souhaitent peuvent encore manifester leur intérêt en écrivant à l’adresse suivante (aurelien.capitan@unceia.fr).

Date de modification : 30 novembre 2023 | Date de création : 29 août 2013 | Rédaction : A. Capitan